De tous les événements qui accompagnent ou composent le passage des belles- lettres à la littérature, et plus largement le passage de la tradition à la modernité, la disparition de ce qui permettait de saisir l'unité du monde — communautés homogènes, échelle humaine du temps, ins- cription de l'individu (et des œuvres) dans un principe fort de relais, somme des connaissances encore malléable — est [...] Qu'il s'agisse de ses descriptions détaillées ou de ses typologies du réel, de l'omniscience du narrateur, de sa structure narrative forte- ment linéaire, de son recours à la causalité, le roman réaliste est perçu comme le parangon de l'œuvre «fermée», en opposition à l'œuvre ouverte du xxe siècle, comme la manifestation d'une volonté de savoir et de maîtrise du monde qui élude toute part de jeu, [...] Et sans doute, alors qu'il met en scène des mondes imaginaires de plus en plus proches de la réalité, presque aux limites de la fiction, la possibilité semble-t-elle s'ouvrir à lui de devenir, comme la peinture au même moment, un art du «tout est langage ». Mais cette possibilité ne pouvait se réaliser qu'au prix du sacrifice de la fiction et de son récit, autrement dit pour le roman au prix de sa [...] Mais le mouvement demeure le même : de Don Quichotte au romans de Stendhal, de Balzac et de Hugo, en passant par Richardson et par Sterne, dont le Tristam Shandy est évidemment exemplaire, l'installation du héros dans le monde correspond à l'ouverture d'une brèche dans le temps, à la création d'un temps dans le temps. [...] En étant à la fois un produit du temps, c'est-à-dire de la contin- gence, de la singularité, de l'individualité, et un produit de Vidée, une LA N A I S S A N C E DU H É R O S : DE L ' A C T I O N À LA P E N S É E • 31 conception générale, une essence en quelque sorte, le personnage met en place les bornes qui sont les siennes, origines et horizons : le héros comme un être en «déplacement», venu de